Civiliser les quads avant de nouveaux affrontements
par Louis-Gilles Francoeur   (Publié dans l’édition du Devoir du 24 février 2005)

Le nombre de personnes de plus de 65 ans qui utilisent un petit véhicule tout-terrain (VTT), ou quad, pour se déplacer en nature est impressionnant. Avec 12 085 détenteurs d'une immatriculation de VTT, ce groupe d'âge vient en tête de tous les groupes d'usagers au Québec, révèlent les statistiques de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), dont on trouve un résumé sur le site Internet de la Fédération québécoise des clubs quads (FQCQ). Mais l'essentiel des utilisateurs se retrouve parmi les 40 à 64 ans, un âge où on devrait plutôt être tenté par l'exercice physique et les sports de nature, notamment le canot, le vélo, le camping et la randonnée. La publicité omniprésente des constructeurs comme Honda et Yamaha, qui offrent désormais d'irresponsables machines de 750 cc dont la vente devrait être limitée aux utilisateurs professionnels, incite visiblement un grand nombre de personnes à préférer la petite dose de moteur hebdomadaire à la quiétude et au silence des forêts.

Très polyvalents et moins énergivores qu'un tracteur ou un camion sur une terre ou un lopin forestier, ces machines deviennent collectivement un problème en mode récréatif, ne serait-ce que parce que la course à la puissance provoque une augmentation sensible du nombre d'accidents.

Mais cela étant, le développement de ce sport motorisé pose aussi d'importants problèmes de civisme, comme c'est le cas de la motoneige, et d'environnement, des questions qui n'inquiètent pas beaucoup le gouvernement.

Les impacts environnementaux du passage de ces machines, utiles ou nuisibles selon l'usage, sont importants et ne se trouvent pas toujours là où le public l'imagine. Par exemple, il est vrai que le passage des quads ne dérange pas beaucoup la grande faune, qui se méfie assez peu des bruits constants. On ne devrait pouvoir transporter sur ces véhicules que des armes barrées, séparées des munitions, pour ne pas profiter de la vulnérabilité de la faune à leur endroit, un manque d'éthique en train de devenir la norme à plusieurs endroits. Mais il est faux de prétendre que la grande faune ne subit aucun préjudice : en effet, dès que les utilisateurs de quads mettent le pied à terre, érigent un camp et s'installent pour pêcher ou chasser dans les coins les plus reculés, cela stresse ou fait fuir les grands cervidés, qui craignent la présence humaine par-dessus tout.

Les dommages aux cours d'eau et à la végétation sont de loin les dommages les plus importants que causent les quads aux milieux naturels, d'autant plus que, contrairement aux motoneigistes, une trop grande partie des conducteurs sortent des sentiers balisés pour atteindre tous les coins imaginables du pays, y compris les terrains privés explicitement interdits de passage : «On venait juste vouère... » Sur les plages des îles de la Madeleine, ils menacent les derniers pluviers siffleurs qui y font leurs nids. Les longues plages de Natashquan et de plusieurs grands plans d'eau sont transformées en véritables autoroutes par les quaddistes !

Mais l'érosion des sols, que provoque le passage répété de ces petites machines, occasionne des dommages à la végétation et aux cours d'eau que seul le passage répété de chevaux peut dépasser en intensité. Comme l'indique honnêtement le site Internet de la Fédération québécoise des clubs quads, le sol est comprimé sous les roues des quads, ce qui le cisaille et opère des pressions latérales qui le cassent, de même que les racines, et tuent rapidement la végétation plus haute, herbacée ou arbustive, en l'écrasant. Les résultats sont si permanents qu'on peut entretenir un sentier forestier avec seulement quelques passages par année pour y neutraliser la végétation.

Par contre, des milliers de passages répétés occasionnent un orniérage qui transforme les pistes en fossés, ceux-ci se drainant souvent vers les cours d'eau. Les clubs devraient être obligés par voie réglementaire de neutraliser et de colmater de façon permanente cet orniérage par l'ajout régulier de gravier concassé qui drainerait le sol mais en préviendrait l'érosion en raison du poids du matériau ajouté. Deux auteurs américains, Griggs et Walsh (1981), ont calculé que l'érosion provoquée par les hors-route dans la Hungry Valley, en Californie, produisait 72 000 tonnes de sédiments par saison, dont une bonne partie va aux cours d'eau. Dans les régions plus nordiques, Ahlstrand et Racine (1993) ont calculé que le fait de passer une dizaine de fois sur la végétation basse d'un parc de l'Alaska pouvait faire disparaître entre le quart et le tiers de la végétation de la zone écrasée (www.naturaltrails.org).

Au Canada, deux chercheurs, Neumann et Merrian (1972), ont constaté qu'un seul passage de motoneige peut endommager 78 % de la végétation arbustive écrasée, comme on en trouve en bordure des marais, et tuer 28 % des jeunes tiges. Or la motoneige est moins dommageable que le VTT ou le quad car la neige offre une couche protectrice qui n'est plus là en été. Enfin, plusieurs études démontrent que le passage des quads constitue une source importante de dissémination de plantes invasives : un seul VTT, indique une étude de l'université d'État du Montana, peut disperser jusqu'à 2000 graines de plantes sur une distance de 16 kilomètres avec la boue qui le recouvre.

L'intérêt public exige que Québec entreprenne de gérer avec rigueur toutes ces facettes de l'activité des quads, tout comme on doit revoir la norme de 82 décibels pour les échappements, qui permet le passage des engins de type sportif à proximité des résidences pendant des jours et des mois ! Le passage d'engins beaucoup plus silencieux ne devrait pas être autorisé non plus à moins de 200 mètres des résidences pour assurer à tous un minimum de quiétude en été, alors que les fenêtres sont ouvertes. En milieu urbanisé, les conseils municipaux ne devraient pas pouvoir autoriser le passage de ces machines sur les routes ou dans les rues sans que le projet de règlement soit assujetti aux mêmes règles que celles qui régissent les règlements d'emprunt, soit l'ouverture d'un registre dans le secteur visé et la tenue d'un référendum si le nombre de signatures le justifie.

Le fait qu'un arsenal minimal de règles démocratiques et environnementales de ce type n'encadre pas encore cette activité démontre à quel point le développement de ce loisir motorisé s'est fait jusqu'ici dans le seul intérêt des clubs, des vendeurs et des constructeurs alors que l'intérêt général aurait dû primer partout. Les fonctionnaires qui ont favorisé ces privilèges tout en étant payés par l'ensemble des contribuables devraient être identifiés et neutralisés par un gouvernement responsable. Et le ménage devrait commencer au ministère de l'Environnement et du Développement pas encore durable, dont le règlement d'administration soustrait plusieurs activités récréatives à l'obligation d'en analyser les répercussions environnementales avant de les autoriser, y compris des courses de motoneiges sur les lacs !

Au Québec, le développement des sentiers de quad -- tout comme celui des sentiers de motoneige -- s'est fait de façon anarchique, sans consultation publique, selon les voeux des clubs. Aujourd'hui, plusieurs quaddistes et motoneigistes réclament un réseau permanent de sentiers comme le réseau routier provincial. Si les choses évoluent en ce sens, il faudrait dès lors appliquer les mêmes règles qu'aux routes, soit une étude préalable des impacts environnementaux de chaque projet et une audience publique où toutes les possibilités seraient vraiment sur la table, de l'autorisation, avec ou sans mitigation, jusqu'au rejet total de projets.

C'est dans l'absence d'évaluation rigoureuse et d'arbitrages sociaux qu'il faut chercher une partie des problèmes croissants que provoque le loisir motorisé car les riverains de la piste du Petit Train du Nord vont inciter pas mal de citoyens à relever la tête devant l'arbitraire des clubs et des maires à la morale de roseau. Non seulement il faut annuler les dispositions iniques du règlement sur l'administration du ministère de l'Environnement, il faut inscrire la percée de pistes pour engins motorisés dans celle qui commande une étude d'impacts et une audience publique. Question de pouvoir compter sur un environnement... durable !